Derrière les choses il y a des gens,
On finirait par l'oublier,
Et c'est pourquoi, lorsque j'entends
Des notes sortir du clavier
D'une boîte à musique,
Je pense à mon ami Charly,
Charly, accordeur de métier,
Do, si, entre les mains de qui,
La, sol, cette boîte a dû passer,
Nostalgie nostalgique...
Charly, c'est trente ans de labeur,
Trois fois le tour du monde à pied,
Jour après jour aux mêmes heures
Entre chez lui et l'atelier,
Tu parles d'un voyage!
C'est la lime, la blouse grise,
Les mille gestes qu'on répète,
Les saisons reviennent et s'épuisent,
La vie est-elle donc ainsi faite
D'un même paysage?
Il connaît ses notes par coeur,
Et les appelle par leur nom.
"Faut les prendre par la douceur,
Par la confiance, dit-il, sinon
Entre vos mains, elles glissent".
Silencieux toute la semaine,
Il apprivoise ainsi du vent.
C'est pas le bagne, c'est pas la chaîne,
On n'y pense plus par moment,
On se fait des complices.
Même s'il use encore en dansant,
L' sam'di, des paires de souliers plats,
Il a déjà des cheveux blancs:
"Comme c'est là-haut, je n' les vois pas,
C'est pas ça qui m'inquiète!"
On dit de lui qu'il boit beaucoup,
Qu'il a des cloches dans sa tête,
Et quand il a pris un bon coup,
Toutes ces chansons qu'il n'a pas faites
Tournent sous sa casquette!
Si par hasard, si par malheur,
(Rien ne dure plus aujourd'hui...)
Un jour il arrive qu'il meure,
Tous les copains suivront Charly
Jusqu'au vieux cimetière.
Mais s'il passe sur une fenêtre,
Sur notre cortège éploré,
Un air de musique champêtre,
Pourra pas s'empêcher d' taper
Du pied dedans la bière!
Derrière les choses il y a des gens,
On finirait par l'oublier...