Entre Malakoff et Saint-Ouen
Il y avait une pauvre bicoque
Où c'qu'habitait une fille de rien
Qu'avait des allures équivoques
La malheureuse avait seize ans
Elle n'avait plus ses père'z'et mère'z
Et, pour manger convenablement
Elle vendait des fleurs au cimetière
Et puis, le soir, elle vendait son corps
Pour s'acheter une côtelette de porc
On l'appelait Fleur-des-Fortifs
A cause qu'elle avait l'air chétif
Elle avait l'œil rébarbatif
Et f'sait l'amour en collectif
Quand on pense à tous ces oisifs
Qu'ont des bagues et des pendentifs
Y a de quoi s'arracher les tifs
Y a pas d'autre qualificatif, tif tif
Hop là !
Un soir, près de l'usine à gaz
Elle rêvait de mille tendresses
Avec un gars qui f'rait du jazz
Et qui lui f'rait vibrer la caisse
Elle aperçut un vieux vieillard
-Les vieillards ne sont jamais jeunes-
Qui la suivait dans le brouillard
A l'heure où c'que les riches déjeunent
"Que voulez-vous ?" qu'elle lui cria
Le vieux vieillard lui dit comme ça
"On t'appelle Fleur-des-Fortifs
Fais un arrêt facultatif
Nous allons prendre l'apéritif
Je le paierai, je n' suis pas juif
J' suis vieux, mais je suis sensitif
Je rêve de petits trucs lascifs
Si tu m' fais du superlatif
Je te paierai double tarif, rif rif"
Mais elle poussa de grands cris
En reconnaissant son grand-père
"Arrière, cochonnet !" qu'elle lui dit
Et il fit cinq, six bonds en arrière
Et, dans un sursaut de dégoût
Il s'étrangla avec sa barbe
Y se j'ta son corps dans l'égout
Tandis qu'elle s' pendait à un "arbe"
Comme quoi, y a toujours de l'honneur
Où c'qu'il y a du sens et du cœur
On l'appelait Fleur-des-Fortifs
Elle repose dessous un massif
De rhododendrons maladifs
Où l' rossignol chante, pensif
"C'est l'Etat le grand responsif
Qui laisse les filles vendre leur rosbif"
Et le merle répond, plaintif
"Tout ça, c'est bien emmerlatif ! tif tif"